Limites de la physique classique et hypothèses
1 – Le rayonnement du corps noir
L’expérience
L’expérience est basée sur l’observation suivante : un corps chauffé à une température T émet un rayonnement. L’expérimentation consiste à chauffer une cavité fermée (donc tout le rayonnement émis est emprisonné) et d’examiner le rayonnement émis à travers un petit trou pratiqué sur la cavité. Si l’absorption est totale, l’intensité émise ne dépend pas du matériau choisi. Il n’est pas possible expérimentalement d’obtenir cette absorption totale, mais il suffit pour cela de réaliser l’expérience avec une cavité complètement fermée dans laquelle le rayonnement peut subir des réflexions sur les parois et finir par être absorbé après plusieurs réflexions. En perçant un trou de petite taille dans la cavité, pour que l’équilibre entre émission et absorption persiste, on peut alors mesurer le faible rayonnement qui en sort. Si on regarde dans le trou, on observe un noir profond d’où l’appellation de corps noir. Ce rayonnement est émis a priori à toutes les fréquences donc à toutes les longueurs d’onde possibles. Le résultat de l’expérience est le suivant : on reporte l’intensité émise par unité de temps en fonction de la fréquence (ou de la longueur d’onde) du rayonnement détecté. On observe ainsi des courbes d’intensité qui augmentent avec la fréquence jusqu’à atteindre un maximum pour ensuite décroître et tendre vers zéro pour les grandes fréquences. Cette décroissance, appelée catastrophe ultraviolette à l’époque, est en total désaccord avec la théorie classique.
Tout d’abord, comment interpréter l’émission de ce rayonnement ? On sait à l’époque que la matière contient des électrons de charge négative. Les parois sont constituées de telles particules chargées qui vibrent en raison de la température et ainsi émettent un rayonnement électromagnétique. Nous pouvons donc considérer nos parois comme étant constituées d’un très grand nombre d’oscillateurs harmoniques qui peuvent émettre toutes les longueurs d’onde.
2 – L’effet photoélectrique
L’expérience
Un autre phénomène était observé à l’époque : l’effet photoélectrique. Du point de vue qualitatif, il ne posait pas de problème de fond aux savants de l’époque mais d’un point de vue quantitatif la situation était plutôt mystérieuse. L’expérience est la suivante : en envoyant de la lumière sur une plaque métallique, et en plaçant un collecteur sous vide près de cette plaque, on peut détecter un courant.
Que des électrons soient arrachés du métal par des photons n’est pas surprenant dans le schéma classique puisqu’on sait que la lumière est caractérisée par un champ électrique qui peut exercer une force sur les électrons. En revanche, ce qui est plus étonnant dans ce type d’expérience est que ce n’est pas l’intensité du rayonnement incident qui est le facteur prépondérant mais plutôt sa fréquence. Ainsi, en dessous d’une certaine fréquence du rayonnement incident, aucun électron n’est éjecté, même pour une forte intensité du rayonnement incident ! Dans le même ordre d’idée, si on se place au-dessus de la fréquence pour laquelle apparaît un courant, on peut alors détecter l’énergie cinétique des électrons émis. On s’attend en théorie classique à ce que cette énergie cinétique augmente lorsqu’on augmente l’intensité du rayonnement (pour une fréquence fixée). Il n’en est rien : le nombre d’électrons détectés augmente, mais leur énergie cinétique est fixe !
Le concept corpusculaire de la lumière d’Einstein
Le véritable premier pas conceptuel fut donné (encore !) par Albert Einstein en 1905 pour expliquer l’effet photoélectrique. Il propose en effet de considérer que la lumière est transmise à la matière par paquets d’amplitude :
Ceci revient en fait à considérer un rayonnement de fréquence comme une assemblée de particules ayant chacune l’énergie . Cette quantité appelée plus tard quantum d’énergie peut alors être entièrement captée par un électron lui permettant ainsi de sortir du métal. Cette hypothèse explique bien la dépendance en fréquence de l’effet photoélectrique, puisque si la fréquence et donc l’énergie est en dessous d’une valeur seuil nécessaire à vaincre l’attraction du noyau des atomes constituant le métal , l’électron ne sort pas.
3 – Stabilité et spectre d’émission des atomes
L’observation
Dans le même ordre d’idée, les scientifiques de l’époque avaient élaboré un modèle de l’atome qui permettait d’expliquer un grand nombre d’expériences en physique et en chimie. Il se basait sur l’existence de l’électron (découvert par Joseph John Thomson en 1897) qui était supposé » graviter » (c’est un abus de langage car ceci n’a rien à voir avec la gravitation!) autour d’un noyau de charge positive. Ce modèle planétaire est a priori viable puisque rien n’empêche un électron de tourner sur une orbite circulaire stable avec un bilan des forces nulles (force d’attraction du noyau = force centrifuge). Néanmoins, on savait également à l’époque qu’une particule chargée qui subit une accélération émet un rayonnement et donc perd de l’énergie. Dans le modèle planétaire de l’atome, l’électron subit une accélération centripète et par suite devrait émettre un rayonnement et ainsi perdre de l’énergie, pour finalement venir s’écraser sur le noyau !
De même dans ce modèle, on ne prévoit pas une seule orbite mais un grand nombre de solutions. Cet aspect discret des orbites permet ainsi d’expliquer qualitativement les spectres d’émission des atomes, en supposant que lorsque l’électron passe d’une orbite à une autre il émette un rayonnement. Ces spectres représentent la longueur d’onde du rayonnement détecté pour un élément donné. Malheureusement, il est impossible de justifier les valeurs obtenues avec l’approche classique.
Spectre d’émission des atomes : le modèle de Bohr
Pour expliquer le spectre d’émission de l’atome d’hydrogène, Niels Bohr proposa en 1913 un modèle de l’atome basé sur le modèle planétaire, mais en s’inspirant des résultats sur les quanta d’énergie. Il considère en effet que les électrons » tournent » autour du noyau mais pas avec n’importe quelle orbite, ou plus précisément pas avec n’importe quel moment cinétique. Il proposait donc de quantifier le moment cinétique comme étant un multiple de la fameuse constante de Planck. Il aboutit alors à une quantification des niveaux d’énergie. Ensuite, il postule que lorsqu’un électron passe d’un niveau de haute énergie vers un niveau de plus basse énergie, il émet un photon. A l’inverse, il propose qu’un électron passe vers un niveau excité par absorption d’un photon ayant une énergie suffisante. En résumé, il émet 3 postulats qu’il suppose valables pour tout système à l’échelle atomique:
(i) Quantification de l’énergie : un système à l’échelle atomique ne peut exister que dans certains états stationnaires. L’énergie d’un tel système ne peut donc prendre que des valeurs discrètes, qui définissent les niveaux d’énergie
(ii) Emission d’un photon : quand le système passe d’un état stationnaire de haute énergie vers un état stationnaire de plus basse énergie , il émet un photon de fréquence fixée égale à
(iii) Absorption d’un photon: à l’inverse, le système dans un état stationnaire peut accéder à un autre état stationnaire par absorption d’un photon d’énergie correspondant à l’écart d’énergie entre les deux états.
Une telle structuration des » couches » électroniques a permis d’expliquer quantitativement le spectre de raies de l’atome d’hydrogène : ainsi lorsque les électrons sont excités d’une couche à une autre, lorsqu’ils redescendent vers un état plus stable ils libèrent de l’énergie sous forme de photons, à des fréquences bien précises. Vous vérifierez en exercice qu’une telle expression explique très bien quantitativement le spectre d’émission, ce qui fit le succès spectaculaire du modèle de Bohr. Malheureusement, les choses se compliquèrent pour des spectres d’absorption plus complexes, montrant les limites du modèle de Bohr. Mais on était sur la bonne voie.
Il manquait donc une constante universelle, à savoir la constante de Planck h, pour expliquer ce phénomène grâce à la mécanique classique.
La dualité onde-corpuscule
1 – Photon : onde ou corpuscule ?
Les fentes d’Young ou l’impuissance du raisonnement classique
Le concept révolutionnaire introduit par Einstein a permis d’expliquer de façon extrêmement simple l’effet photoélectrique, mais il plonge les scientifiques dans le doute et l’incompréhension. Jusqu’alors la lumière était une onde non localisée, ce qui permettait ainsi d’expliquer les phénomènes d’interférences optiques. Mais comment comprendre ces phénomènes si on considère maintenant la lumière faîte de corpuscules appelés photon d’énergie ?
Pour répondre à cette question, reprenons l’expérience des fentes d’Young que vous connaissez. On envoie un rayonnement électromagnétique monochromatique sur une plaque percée de deux petites fentes (de largeur analogue à la longueur d’onde du rayonnement), et on récolte l’image sur un écran. Vous avez traité ce problème en considérant le rayonnement comme une onde diffractée par les trous, et en calculant la somme de l’amplitude des ondes en un point P de l’écran. Vous avez trouvé que la somme de l’amplitude de ces ondes donne lieu à des interférences constructives ou destructives conduisant à des franges.
Expérience des fentes d’Young. Si l’une des deux fentes est fermée, on observe l’image de diffraction d’une seule fente. Lorsque les deux fentes sont ouvertes, on observe une image d’interférence des ondes provenant des deux fentes
Maintenant essayons de raisonner avec des particules. Notre rayonnement incident est alors fait d’un grand nombre de particules qui peuvent passer par l’un ou l’autre trou et avoir des trajectoires particulières telles qu’on détectera beaucoup de photons sur les raies intenses et peu sur les zones éteintes de l’image d’interférence. Est-ce correct ? Eh bien faisons l’expérience, en amenant un flux de photons faible de telle manière qu’il est possible de voir l’impact des photons sur le détecteur. Effectivement, on voit l’impact des photons sur l’écran qui confirme bien leur aspect corpusculaire. Et on se rend compte alors d’un fait peu étonnant mais relativement nouveau : la figure d’interférence ne se forme pas immédiatement, mais petit à petit, au fur et à mesure que le nombre d’impacts grandit (figure 6). On met donc ici le doigt sur une notion importante qui n’apparaît pas si on raisonne de façon ondulatoire, à savoir que ce phénomène possède un caractère probabiliste. Ajoutons qu’ici cette expérience n’a aucune raison a priori de dépendre du flux de photons. Donc si j’envoie les photons un par un, mon image d’interférence se formera tout du même.
t1
t2
t3
Formation au cours du temps de la figure d’interférence. L’impact sur l’écran des particules prouve l’aspect corpusculaire des photons, la figure d’interférence l’aspect ondulatoire
Cette expérience montre également un aspect d’une grande importance pour la compréhension. Considérons une source ponctuelle qui émet un rayonnement isotrope dans l’espace. Vous avez eu alors l’habitude de « visualiser » ce champ rayonné en dessinant des sphères iso-champs ou iso-énergie centrées sur la source ponctuelle. Nous voyons ici que cette construction a un sens uniquement si un grand nombre de photons sont émis, mais pas si un seul photon est émis. En effet, ce photon ne peut occuper tout l’espace pour la raison suivante : s’il est détecté à un endroit donné, par un détecteur ponctuel, il ne pouvait pas être ailleurs, sinon cela voudrait dire qu’il est allé plus vite que la lumière. Ce raisonnement montre également que le photon n’est pas divisible.
Influence de la mesure
Mais cet aspect ondulatoire soulève un problème inextricable en physique classique : en effet, si on raisonne de façon ondulatoire, l’onde est passée par les deux trous en même temps. Mais d’un point de vue corpusculaire, que dire ? Le photon est-il passé par les deux trous en même temps ? Pour répondre, rien de plus simple, mettons des détecteurs qui font » bip » juste à la sortie des trous, et envoyons un photon. Si les deux détecteurs font bip en même temps, il est passé par les deux trous. Sinon non. Que dit l’expérience ? Les deux détecteurs ne se déclenchent jamais en même temps ! On est donc bien en accord avec l’aspect corpusculaire et non l’aspect ondulatoire ! Attention, nous n’avons pas fini de décrire complètement les observations de cette expérience. En effet, on se rend compte expérimentalement que si jamais on détecte par où est passé le photon la figure d’interférence disparaît !
On lève là un deuxième point totalement nouveau : plus on cherchera à savoir par où est passé le photon, moins on aura de chance de » fabriquer » l’image d’interférence. Cette idée est difficile à admettre, même Einstein n’y croyait pas et a proposé des expériences toujours plus ingénieuses pour mettre en doute cet état de fait. Jusqu’à présent, toutes les expériences sont en accord avec cet état de fait : on n’a jamais pu détecter par où passait le photon tout en conservant l’image d’interférence.